Cette semaine, coup de coeur iiconi pour l’exposition “”Serge Gainsbourg, le mot exact” ” actuellement visible à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Pompidou (2ème étage) jusqu’au 8 mai.
Plonger dans le paysage littéraire de Serge Gainsbourg, tel est l’enjeu de cette belle exposition. On y est accueilli par une vaste sélection des ouvrages tirés de son hétéroclite bibliothèque de la rue de Verneuil et par un parcours nous expliquant combien la littérature a influencé la création des 550 chansons dont les titres couvrent les façades de l’exposition.
Le paysage littéraire de Serge Gainsbourg
En attendant l’ouverture imminente de Maison Gainsbourg qu’on annonce pour ce printemps 2023, il est bon d’aller réviser les cahiers d’école de Serge Gainsbourg ou plutôt sa littérature intime dans cette belle exposition, petite certes mais concentrée sur l’essentiel de ce qui inspira Serge Gainsbourg. C’est en effet par une première une belle sélection de livres de la bibliothèque du célèbre 5bis de la rue de Verneuil qu’on entre dans ce labyrinthe intime.
La littérature et la poésie furent certainement les principales sources d’inspiration de Serge Gainsbourg, certes artiste pluridisciplinaire qui se destinait à être peintre à l’origine. Ainsi on retrouve dans ces premières vitrines des chefs d’œuvre de la littérature française et européenne : de Rimbaud à Huysman, Senghor ou l’histoire du surréalisme, de « Belle du Seigneur » aux « Œuvres » de Benjamin Constant, du Marquis de Sade à Antonin Artaud et Kafka sans oublier les classiques La Bruyère, Montesquieu, Montaigne… Finalement, la richesse et la variété de styles et de couleurs musicales des chansons de Serge Gainsbourg sont comparables à la bibliothèque du maître !
La BPI a concentré ses efforts sur une gamme d’auteurs spécifiques. Caroline Raynaud, conservatrice du lieu, a justifié cette décision au micro de Radio France :
« […] On a choisi de montrer ses influences les plus classiques, son socle de départ, qui est vraiment constitué des ouvrages qu’il a lus jeune. Parce que Gainsbourg a beaucoup dit qu’il était plus relecteur d’ouvrages de jeunesse qui l’ont beaucoup marqué. »
On retrouve bien évidemment les livres préférés de Gainsbourg comme le « Joueur d’échecs » de Stefan Zweig, « les contes d’Andersen » et toute une facette de littérature classique, à l’image d’ « Adolphe » de Benjamin Constant, son livre de chevet, sans ou lier le « Lolita », chef-d’œuvre de Vladimir Nabokov.
Dans la seconde salle, on continue de rentrer dans l’intimité de l’artiste-poète toujours plongé dans une pénombre qui donne la place aux lumières qui exposent les chefs d’œuvre qui nous exposés et expliqués. Comme si cette intimité du maitre devait mieux se déguster tard le soir, la nuit ou au petit matin.
Le sous-texte d’une partie de cette sélection raconte aussi la façon dont Gainsbourg a créé son alter ego, Gainsbarre. Une invention qui se range directement dans la tradition du « double littéraire », façon Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde ou Horla de Guy de Maupassant. Gainsbourg a emprunté l’idée du double “Gainsbarre” et son image de dandy à des écrivains comme Oscar Wilde. Il déclara même un jour à propos du poète à semelles de vent : “Je vais essayer de rejoindre Rimbaud, je veux l’approcher… Un jour je le retrouverai, quelque part en Abyssinie, où il faisait le trafic des armes et de l’or…”
Reliques et petits papiers
On poursuit l’exposition par une très vitrine qui affiche reliques et notes sur des petits papiers dont de nombreux autographes, Catherine Deneuve, Rudolph Noureev, On aime aussi ces écritures du bout de la nuit, ces instantanés de l’encre qui nous ramène à cette vie trépidante d’artiste des années 50, 60, 70, 80 et 90…
L’auteur des Petits Papiers (pour Régine) les accumulait, les chérissait ! Manuscrits, tapuscrits, notes éparses, partitions, pages de garde dédicacées, coupures de presse, toute sa vie il a conservé et aussi scrupuleusement tenu son press-book : les quatre commissaires ont du passé plusieurs mètres cubes de papier au tamis !
Sous la vitrine, on retrouve l’une de ses paires de Repetto blanches, des cannes ouvragées qui composaient aussi la panoplie médiatique du Gainsbarre …Un étonnant bar portatif (vodka ?) en forme de citrouille, des gants de cuir et ses lunettes noirs ainsi que de précieux encriers de voyage s’exposent et nous rappellent certaines sorties médiatiques…Manquerait-il un billet de 500 francs dit « Pascal » à moitié brulé au mur ???
Tous ces objets cultes et « objets de culte » pour Serge Gainsbourg sont usagés, patinés, ils ont été choisis pour leur aspect et leur rareté, et disent le soin extrême que le compositeur attachait à son souci de se composer un personnage.
Albums Cultes
A la suite de cette vitrine, on s’attache à nous rappeler le succès médiatique (puis populaire) de 2 albums concept et iconiques de l‘artiste : « Histoire de Mélodie Nelson » et « L’Homme à la tête de choux » sont mis à l’honneur à travers quelques articles de journaux soigneusement conservés par notre auteur et des textes de chanson comme « Valse de Melody » écrite de la main et de la plume de Serge Gainsbourg.
Finalement, ces archives qui montrent des documents raturés, des mots posés à la volée sur un coin de feuille, des textes non terminés, manuscrits ou tapuscrits, révèlent cette recherche du « mot exact ». Réunis dans la partie « la méthode Gainsbourg », tous ces « petits papiers » prouvent à quel point l’auteur voulait que sa plume et son vocabulaire soient précis.
La matrice littéraire et la méthode Gainsbourg
La troisième et dernière partie de l’exposition est consacrée à l’inégalable productivité et les méthodes d’écriture du défunt. On poursuit notre plongée dans cet univers des mots, ceux de Serge Gainsbourg et ceux des autres pour nous dévoiler le processus de création de l’artiste.
Sur ce point, Sébastien Merlet, co-commissaire de l’exposition, toujours pour Radio France avance :
« Je crois que la particularité de Gainsbourg, auteur de chansons, c’est le choix qu’il opère dans les mots. Des mots qu’il utilise pour leur sonorité avant même leur sens parfois. Son premier objectif, c’est de se servir du phonème comme une matière sonore et non pas reflet d’une expérience émotionnelle vécue qui serait par exemple chez un Jacques Brel ou un Brassens. »
La partie du parcours consacrée à « la méthode Gainsbourg », est certainement la plus passionnante. « Chez lui, c’est le phonème [la sonorité] qui est le plus important. Il fait des associations de mots, cela lui donne un thème et cela débouche sur un poème, » avance Anatole Maggiar. « Il y a cette idée du collage, du cadavre exquis, empruntée au mouvement surréaliste qui lui était cher. Il cherche le mot qui claque, la rime complexe, s’amuse avec les césures comme dans « Comment te dire adieu » ». Les paroles de cette chanson apparaissent sur l’un des murs pour bien faire comprendre ce procédé consistant à rejeter la fin d’un mot au début du vers suivant : « Sous aucun prétex…/…te, je ne veux/avoir de réflex…/…es malheureux… » Une licence poétique imparable pour assurer des rimes en « ex ».
On comprend que le texte de la chanson se tisse à partir d’un mot, ce mot exact longtemps recherché à partir duquel Serge Gainsbourg, digne héritier du mouvement dada et des surréalistes, va appliquer ses collages, recycler, détourner et donner vie à son style unique.
Chercheur imperturbable dans son nid littéraire de la rue de Verneuil, Gainsbourg a trouvé les mots pour ensuite se payer et nous offrir un voyage musical hors pair, de la chanson rive gauche et le jazz-nouvelle vague de ses débuts aux aventures rythmiques, harmoniques et mélodiques des tubes yé-yé, rock, reggae et funk. Ou comment le mot devient musique.